Saint Jérôme, L'Homme Nouveau en parle :
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Dans une magnifique biographie qui vient d’être rééditée, Anne Bernet trace un portrait extrêmement vivant de saint Jérôme.
Au fil des siècles, la figure de sainteté de Jérôme de Stridon s’est imposée à nous tout en estompant sa personnalité. Pourtant, celle-ci n’avait rien de banal ou d’anodin. Tout au contraire, saint Jérôme fut un être de feu, habité par le génie mais aussi traversé par des défauts importants, comme la colère et l’emportement, les jugements téméraires et l’envie d’en découdre à tout prix, avec souvent le contentement ressenti devant un adversaire écrasé.
C’est du moins ainsi qu’il ressort de l’imposante et belle biographie que lui avait consacrée Anne Bernet en 2002, couronnée du prix Renaissance des lettres l’année suivante, et qui vient d’être rééditée aux éditions Clovis. Avec le talent de conteuse qu’on lui connaît, l’historienne parvient non pas simplement à faire revivre son sujet mais à le rendre extrêmement vivant aux yeux des lecteurs de ce début de XXIe siècle. Ce Romain de l’Antiquité est tout d’un coup l’un de nous, parmi nous. Un véritable exploit et une réelle prouesse ! Jérôme de Stridon a vécu à cheval sur le IVe et le Ve siècle. Né en 347 aux confins des provinces romaines de la Pannonie et de la Dalmatie (Europe centrale), mort en 420 à Bethléem, Jérôme apparaît avant tout comme un Romain de toute la moelle de son être. La romanité l’habite. Il vit et respire en latin. Les lettres et les grands auteurs n’ont pour lui aucun secret, qu’il s’agisse de Virgile ou de Cicéron, ainsi que tous les grands autres écrivains du paganisme. Sa formation est celle d’un Romain lettré : grammaire, astronomie, littérature, rhétorique, philosophie et grec. Est-il un chrétien d’origine ? Ses parents le sont mais lui, selon une coutume de l’époque, liée à l’idée forte que les chrétiens se font alors du péché et de la nécessité absolue de n’y pas retomber, retarde le moment du baptême. D’abord catéchumène, ce qui l’oblige malgré tout à une vie droite, il est finalement baptisé vers l’âge de 20 ans. Dès lors, sa voie est tracée et il ne va pas en dévier. Devenu chrétien, il ne le sera pas à moitié, de manière tiède ou relâchée. Il va jusqu’à rompre avec sa famille, sans espoir de retour, et embrasse la vie cénobitique pour être plus disponible à Dieu. Moine, plongé dans la prière et les études théologiques ou scripturaires, Jérôme est aussi l’homme des grandes amitiés, parfois tumultueuses. Il se sépare de ses amis avec la même force avec laquelle il les a aimés. Un de ses proches parmi les plus anciens, Rufus d’Aquilée, moine, écrivain et futur saint, lui aussi, en fera les frais. En revanche, les femmes qui entourent Jérôme, issues le plus souvent des anciennes familles patriciennes, à l’instar des veuves Marcella (sainte Marcelle) et Paula (sainte Paule), le soutiennent sans défaillir tout en exerçant sur lui une influence modératrice. Et il en a bien besoin.
Sa destinée ? Être entier, il tente une vie retirée et recluse, celle de l’ascétisme absolu, qu’incarnent de manière incandescente les pères du désert. L’échec de cet essai frappe au coeur ce chercheur de Dieu. À son retour à Rome, il se lie avec le pape Damase et grimpe dans la hiérarchie de l’Église. Pour le souverain pontife, il développe une exégèse exigeante des Saintes Écritures, symbolique, spirituelle et historique, et entame une traduction latine des Évangiles, en n’hésitant pas à aller puiser aux sources hébraïques, malgré les suspicions qui existent entre Juifs et chrétiens. À terme, ce travail de titan (pour ne pas dire de bénédictin puisque saint Benoît n’est pas encore né…) donnera naissance à la Vulgate, qui repose essentiellement sur le travail et la méthode de Jérôme et qui sera consacrée par l’Église comme la Bible de référence (cf. l’article paru dans L’Homme Nouveau, n° 1831 du 3 mai 2025). Mais Jérôme n’est pas simplement un moine, un prêtre, un traducteur. C’est aussi (d’abord ?) un polémiste qui, à en croire sa biographe, frôle parfois la mauvaise foi au point d’y tomber à certains moments.
Sur quels thèmes ? Indiquons-en quelques-uns : Origène et la valeur de son enseignement, les hérésies dont le pélagianisme, la primauté de la virginité chrétienne, le célibat consacré ou le culte des martyrs. En fait, les sujets ne manquent pas à une époque où la théologie catholique s’affirme et se précise. Seulement, la plume de Jérôme est le plus souvent trempée dans une encre d’un genre particulier, mélangeant étrangement fiel et foi, réunissant le feu de la passion, le talent de l’écriture, l’assurance du lettré, le savoir du théologien et la volonté sans retour de remporter la victoire. Autant d’ingrédients plus propices à cultiver le nombre de ses ennemis que celui de ses amis. Mal vu par Sirice, le successeur de Damase, et encore plus, s’il est possible, par le clergé romain, ce Latin dans l’âme doit prendre les chemins de l’exil. D’abord pour Jérusalem puis pour Bethléem. Il espère un éloignement momentané de l’Urbs. Celui-ci sera définitif. Depuis la ville sainte de la naissance du Christ, où Jérôme a fondé un monastère d’hommes et un monastère de femmes, il a continué ses travaux et ses combats. Il a subi bien des avanies et perdu ses proches, emportés par l’âge et la maladie. Il s’est retrouvé isolé, pauvre, sans ressources, mais toujours sûr de son droit qu’il puise dans sa foi, aussi solide qu’un roc. Non ! Encore plus solide car la pierre s’effrite avec le temps, pas la foi de Jérôme. Celle-ci, profondément surnaturelle, fut certainement la raison qui conduisit l’Église à élever cet indomptable de Dieu au rang de saint et de Docteur de l’Église. La biographie écrite par Anne Bernet nous offre de le connaître mieux et, non sans étonnement, de vivre avec lui.
HN n°1840 du 11 octobre 2025
https://hommenouveau.fr/saint-jerome-lindomptable-de-dieu/