Pourquoi il ne peut pas y avoir de femmes prêtres ?

Non aux femmes prêtres

Dans une lettre apostolique, signée le 22 mai 1994, au jour de la Pentecôte, le pape Jean-Paul II a dit un « non définitif » aux femmes prêtres. Citons le passage fort de ce document :

« Afin qu'il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l' Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères, que l'Église n'a en aucune manière le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes, et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église. » (Jean-Paul II, Ordinatio sacerdotalis , 22 mai 1994)

Une étude, même rapide, fait apparaître une force spéciale dans les termes et invite à se poser la question théologique : est-ce là un document infaillible et de quel type de Magistère est-il redevable ?

Pour Joseph Vandrisse, Père carme de son état et chroniqueur religieux au Figaro , comme pour Henri Tincq du Monde , il ne s'agit que d'un « acte du Magistère ordinaire » de l'Église ( Figaro du 31 mai). L'un et l'autre concèdent cependant une « certaine solennité » (idem). L'enjeu n'est pas mince : ce NON papal à l'ordination des femmes permet-il une nouvelle discussion et éventuellement quelque aménagement ultérieur ou comporte-t-il une définition dogmatique irréformable de sa nature ? Nos journalistes optent évidemment pour la première solution et mettent toujours des guillemets au qualificatif « définitif » de cette doctrine.

Le Magistère

Le Magistère est l'un des trois pouvoirs de l'Église, celui d'enseigner. De soi, il ne comporte aucune condition a priori de sa véracité. Le canon de saint Vincent de Lérins (on doit tenir ce qui a toujours et partout été enseigné « eodem sensu eadem sententia  ») n'est qu'une constatation a posteriori de la conformité du Magistère infaillible actuel avec celui d'avant. Toute introduction d'une condition du Magistère dont les théologiens (et a fortiri les fidèles) devraient juger, équivaut à renverser les rôles entre l'Église enseignante et l'Église enseignée (la seconde jugeant l'autre) et à dissoudre le Magistère lui-même, pouvoir vivant, actuel. Sa conformité nécessaire à la Tradition n'est que l'effet du Saint-Esprit dans le cas d'un enseignement infaillible.

L'infaillibilité

Le Magistère de l'Église est infaillible pour une seule raison : de l'infaillibilité de l'Église elle-même et pour autant donc qu'il peut, en élévant la voix, être l'écho de l'Église elle-même. Sera donc seul infaillible un Magistère qui, de par sa forme, peut prétendre représenter l'Église elle-même. Le concile Vatican I a très précisément explicité les formes (et non les conditions) d'un tel Magistère infaillible dans la Constitution « De Fide Catholica  » (Dz 1792 ancienne numérotation). Citons ce texte majuscule :

« On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise et qui est proposée par l'Église comme devant être cru, soit par un jugement solennel, soit par le Magistère ordinaire universel. »

On note d'abord que l'Église n'est pas seulement infaillible (comme une lecture superficielle de ce texte le laisserait supposer), quand elle propose à croire . Cette restriction est évidente ici par le sujet de la constitution « De Fide Catholica ». Dans la définition de l'infaillibilité pontificale (Dz 1839), il est précisé que l'infaillibilité couvre tout ce qui est déclaré devoir être tenu par le Magistère du Pontife romain. La raison est que l'Église doit défendre le dépôt et non pas seulement l'exposer et pouvoir jouir de cette prérogative d'infaillibilité en dehors même du donné révélé.

Ainsi, lorsque le pape Jean-Paul II exige de tenir cette doctrine, nul ne peut en tirer un argument contre l'infaillibilité de ce document.

Les formes du Magistère infaillible

D'après la Constitution, l'Église est infaillible soit dans un jugement solennel, soit dans son Magistère ordinaire universel.

Deux distinctions évidentes s'imposent immédiatement dans la forme du Magistère : il est ordinaire ou solennel. Il est solennel lorsqu'il prononce un jugement qui tranche une question définitivement ; il s'agit dans ce cas d'une sentence, à laquelle on peut appliquer les règles de la définition pontificale de la constitution « De Ecclesia Christi ». Cette forme bien connue du Magistère infaillible du Pontife romain dite « ex cathedra » n'est pas la seule forme possible de jugement ; le Concile œcuménique peut aussi en produire (cas de tous les conciles avant Vatican II), lorsque solennellement, c'est-à-dire aux mêmes formes que le Pontife romain seul, il prononce une phrase semblable. Le jugement solennel est donc – et c'est notre seconde distinction – pontifical (cas du pape seul) ou universel (ensemble des évêques, leur tête comprend évidemment). Ces deux formes de « sentences » obéissent aux mêmes exigences, lesquelles sont bien connues par l'exposé qu'en a fait le concile Vatican I concernant le pape seul.

Le Magistère ordinaire est le Magistère quotidien, habituel, régulier des pasteurs authentiques de l'Église que sont les seuls évêques. Il répond à la nécessité pour l'Église d'être enseignée chaque jour et ce, infailliblement. Car ce Magistère est infaillible quand il est ordinaire et universel, c'est-à-dire quand l'ensemble des évêques enseigne à un moment donné une doctrine identique. La raison en est simple : la doctrine en question étant enseignée par tous les évêques (sans contestation ou controverse donc, au moins entre eux) ils sont, ce faisant, toute l'Église enseignante et don infaillible comme elle. Les conséquences de ces deux mots, ordinaires et universels sont capitales (nous prenons leur acceptation dans le sens précisé par les pères du concile Vatican I) :

Le Magistère ordinaire universel ne produit aucune phrase (contrairement au solennel) ni aucun jugement. Il ne tranche pas une question. Il est l'enseignement de l'Église au quotidien.

Il cesse donc d'être infaillible sur un point précis dès qu'une contestation épiscopale naît sur ce point. La raison en est qu'il cesse d'être universel, raison propre de son infaillibilité. Il existe encore comme ordinaire, mais non plus comme universel et ne jouit donc pas de l'infaillibilité (sur ce point).

Dès lors, il est fait pour cela, seul le Magistère solennel (du pape ou du Concile) peut trancher, juger, imposer la Vérité.

Un texte clair

À la lumière de cet enseignement classique, le document de Jean-Paul II apparaît fort clair et les commentaires théologiques de Vandrisse et Tincq tout à fait ténébreux.

Le pape dit lui-même que la question du sacerdoce des femmes est controversée à cette heure dans l'Église par les évêques eux-mêmes (et qui n'en acceptait ?). L'expression pudique « de différents côtés » ne saurait affranchir bon nombre d'évêques.

Dès lors, l'exercice infaillible du Magistère ordinaire est suspendu par cette dissension. Il n'y a qu'un seul recours : une sentence du Magistère solennel (ou extraordinaire).

Vandrisse et Tincq devraient revoir leur théologie quand ils déclarent à la fois et sans vergogne qu'on tient là « un texte du Magistère ordinaire » « cependant accompli dans une solennité exceptionnelle ». C'est, théologiquement, une pure contradiction, qui suppose une totale méconnaissance du Magistère ordinaire.

Ils en infèrent que ce document n'est pas infaillible, n'était que du Magistère ordinaire. Ce qui présente au moins deux contrevérités :

Le Magistère ordinaire peut être infaillible et se trouve l'être dès lors qu'il est universel.       

Le document incriminé répond à toutes les exigences du Magistère solennel et se trouve jouir de sa prérogative d'infaillibilité.

Ce qui reste à démontrer :

Le pape parle « en vertu de sa mission de confirmer ses frères » ce qui est de toute évidence la charge papale comme telle. La cause efficace est clairement là.

La lettre est destinée à tous les évêques catholiques, ces six pages s'adressent à l'Église universelle par ses pasteurs authentiques, dans le mais de trancher un point controversé. La cause finale est là aussi.

Le pape parle d'un point de doctrine qui « concerne la constitution divine elle-même de l'Église ». La cause matérielle (foi ou mœurs) est évidemment là aussi. D'ailleurs nous l'avons vu, le Magistère peut être infaillible même en dehors de la foi. Peu importe ici, nous sommes en plein dans son objet primaire.

Enfin, et c'est le plus important, le pape impose à tous les fidèles cette doctrine : « cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église. » C'est la cause formelle, ou intention de contraindre.

De nos explications précédentes, il ressort que le mot « tenu » au lieu du mot « cru » ne saurait servir d'argument à ceux qui voudraient considérer ce document comme du Magistère ordinaire. Le pape l'emploie évidemment à dessein, sachant que, s'il touche au dogme lui-même, ce point de doctrine est envisagé sous l'aspect disciplinaire et pratique qui relève de ce qu'il faut tenir et non pas de ce qu'il faut croire. Dans la définition du dogme de l'infaillibilité du pape (Vatican I) c'est même le mot « tenu » qui est employé.   De toute évidence, la cause formelle est là, majestueuse.

Notre conclusion est claire. Nous avons là un texte infaillible, une phrase (ou jugement) solennel qui tranche définitivement un point de doctrine catholique ; et tous ceux qui contreviendront à cette doctrine doivent savoir qu'ils auraient fait naufrage dans la foi.

Les Vandrisse et les Tincq sont donc des fantaisistes aux intentions manifestées de revenir à la charge sur une question clairement définie.

Salvo meliore judicio , il nous semble que c'est la première fois que Jean-Paul II tranche solennellement une question. C'est là qu'on peut et doit le suivre comme le Christ lui-même. Un tel document manifeste la permanence de la fonction pontificale et ce n'est pas là son moindre avantage. Ce rappel sur le Magistère permet, par contraste, de rejeter avec force et sévérité les aberrations presque continues du Magistère papal ordinaire, aucunement garanties par l'infaillibilité, comme il ressort clairement du concile Vatican I et malheureusement des faits.

Le Magistère comprend bien dit tout. Il n'est que de le suivre et ceux qui ont encore des yeux faits pour voir ont assez de lumière. La prétention exorbitante depuis trente ans de nous imposer un Magistère contraignant qui ne soit pas solennel (qu'on appelle hypocritement « suprême » et qui procureit ces fameuses vérités non définitives…) ne prend que chez des journalistes apprentis théologiens. La preuve ? Quand arrive enfin un acte du Magistère solennel, nous devons le constater avec tristesse : nous sommes presque les seuls à le reconnaître.

Abbé Philippe Laguérie

Fideliter n° 101 (septembre-octobre 1994)

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